LES IDEES FAUSSES SUR LES « 4 ECOLES »

 « Le Madhhab, c’est une religion dans la religion »

FAUX : le Madhhab, appelé aussi « rite » ou « école doctrinale », ou « école juridique » ou « école de jurisprudence », n’est rien d’autre qu’une méthode d’extraction des règles juridiques à partir de textes communs, le Coran et les Hadiths, méthode qui est à la base, établie par un « Imam fondateur ».

Et c’est dans ces « techniques » d’extraction qu’il y a divergence : en se basant sur un socle de sources communes (Coran, Sunna, consensus des savants…), chaque Imam a ajouté des sources du droit et des règles qui lui sont propres : par exemple, la pratique des gens de Médine est aussi une source du droit pour l’Imam Malik.

Le but étant commun à toutes ces Ecoles : protéger la bonne compréhension et application du Coran et de la Sunna, à travers un effort intellectuel, l’Ijtihad, qui, étant de nature humaine, mène forcément à des points de vue différents et à des divergences légitimes.

Suivre une Ecole, c’est donc suivre la même Religion que les autres, avec d’éventuelles divergences sur certains points souvent mineurs et secondaires.

Par exemple, toutes les Ecoles sont d’accord pour dire que la prière de Dhor comporte 4 unités. Mais il y a des divergences légères sur comment faire la prière : faut-il lever les mains une seule fois lors du takbir initial ou bien aussi à chaque fois qu’on se relève du soujoud ? Pour les ablutions, faut-il passer la main sur la totalité de la tête ou sur une partie seulement ? etc.

Chacun suit donc le Coran et la Sunna mais, sur les points secondaires, selon la compréhension de telle ou telle Ecole, tout simplement ! 

« Les 4 Ecoles sont marginales dans le Monde musulman » 

FAUX : car elles sont présentes et suivies dans tous les pays musulmans : l’École Hanafite de l’Imam Abou Hanifa, originaire d’Iraq, est aujourd’hui la première École dans le monde en termes de nombre : Turquie, Inde, Afghanistan, Syrie etc.

 Il y a aussi l’école Malikite de l’Imam Malik, qui enseignait à Médine, et qui est suivie aujourd’hui dans le Maghreb, l’Afrique subsaharienne, le Koweit, les Emirats, Bahrein etc.

 L’école Shafi’ite, deuxième en nombre de disciples, est celle de l’Imam Ashafi’i, élève de l’Imam Malik, qui fonda sa propre Ecole et qui est suivie aujourd’hui par la Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande, et l’Egypte.

Enfin, l’école Hanbalite qui est la quatrième en nombre, est celle de l’Imam Ahmed Ibn Hanbal, élève de l’Imam Ashafi’i, et qui est suivie dans certains de ses aspects en Arabie Saoudite.  

 « Suivre une Ecole, ça n’existait pas chez les Pieux Prédécesseurs »

FAUX : car les fondateurs de ces Ecoles sont justement parmi les meilleurs des Pieux prédécesseurs !

Dès le départ, chaque compagnon était à lui seul une « Ecole » de droit et de pensée. C’est pourquoi à la mort du Prophète (pbsl), on trouvait des personnes qui suivaient les paroles du Prophète (pbsl) mais « selon la compréhension » de tel ou tel Compagnon.

D’ailleurs, les quatre Imams seront chacun influencés par un ou plusieurs compagnons en particulier : par exemple Abdullah Ibn Omar influença l’Imam Malik et Abdullah Ibn Mas’ud influença l’Imam Abou Hanifa.  

Ensuite, à l’époque des « successeurs des suivants », autrement dit la troisième génération, l’Islam s’est répandu dans des contrées lointaines. Il fallait donc répondre aux questions nouvelles qui se posaient pour éviter que ce vide juridique ne soit comblé par l’ignorance 

La structuration des Ecoles juridiques intervient à cette époque et fut donc une « bonne innovation », nécessaire pour ériger des remparts et préserver la religion des déviances sectaires.  

 « Dès le départ, il n’y avait que ces 4 Ecoles » 

FAUX : car le nombre de ces Ecoles était à la base de plusieurs dizaines, chacune centrée autour d’une sommité en Sciences. Certaines ont plus prospéré et survécu que d’autres en raison des éléments que nous allons voir dans le point suivant.  

 « Les 4 Ecoles qui ont survécu sont les plus vraies »

FAUX : ce n’est pas parce qu’elles étaient plus « vraies » que les autres, ou bien parce que leur Imam était « plus savant » qu’elles ont survécu, mais plutôt grâce à trois éléments :  

➡ La transmission et l’approfondissement par les ELEVES : pour que l’École d’un Imam perdure, il doit être entouré de nombreux élèves (qui eux-mêmes auront des élèves et ainsi de suite), qui transmettent son œuvre et l’approfondissent, parfois même en le contredisant sur le fond, mais toujours en se basant sur la méthodologie de base de l’Ecole.

En réalité, ce sont ces élèves qui fondent « l’Ecole » à proprement parler. Sans élèves, il n’y a PAS d’Ecole, et ce fut malheureusement le cas pour les grands Imams Al-Layth Ibn Saad et Al Awza’i.

 Le soutien d’un POUVOIR POLITIQUE et FINANCIER: pour qu’une Ecole perdure dans le temps et se développe, il lui faut aussi à un moment donné, le soutien d’un pouvoir politique qui l’adopte officiellement, qui la finance, construit des écoles, publie des livres etc.

Par exemple, l’Ecole Hanafite est aujourd’hui l’Ecole la plus suivie dans le monde probablement parce qu’elle a été longtemps la doctrine officielle propagée par le puissant Empire Abbasside dont la capitale était Baghdad (l’école hanafite est d’ailleurs née en Iraq !) et qui dominait le monde.

De même, certains pensaient que l’Ecole Hanbalite allait disparaitre étant donné la faible proportion des musulmans qui la suivaient, mais celle-ci a connu un nouveau souffle depuis son adoption officielle par l’Etat d’Arabie saoudite.  

 NI TROP RIGIDE, NI TROP SOUPLE : pour qu’elle perdure, l’Ecole doit être dans le « juste milieu ». Par exemple, l’Ecole « zahirite » revivifiée par Ibn Hazm, qui était l’un des plus grands savants de son époque, a disparu selon certains à cause de sa rigidité.  

 « Seule une Ecole a raison et détient la vérité »

FAUX : Il y a unanimité et consensus des savants (ce qui est rare !) pour dire que ces 4 écoles sont « toutes dans le VRAI ». Chacune d’elle est une voie et un chemin authentique, le mot « madhhab » voulant dire « chemin » en arabe.

Aujourd’hui, on peut donc comparer la sunna à une autoroute ayant 4 voies, comme les 4 madhahibs : si vous roulez sur l’une de ces voies, vous êtes dans la « bonne direction », comme ceux roulant sur les autres voies !  

Il faut donc éviter de vouloir s’ériger en « arbitre des Ecoles » en disant « tel avis est sahih » ou « tel avis est le vrai ». En effet, qui sommes-nous pour prétendre à pouvoir départager des sommités en Sciences, à donner les bons points et les mauvais points ? Nous sommes en dessous d’eux et pas au-dessus pour pouvoir les juger et les départager ! 

Comment prétendre savoir avec certitude quel est le « vrai » avis dans ces questions techniques et complexes, tout en n’ayant aucune compétence en la matière ?  Qui oserait départager les diagnostics de médecins spécialistes sans avoir les connaissances suffisantes dans leurs spécialités ?  

Il faut donc respecter les divergences. Le meilleur exemple de tolérance et de respect a été donné par les Imams fondateurs eux-mêmes ! Par exemple, un jour, l’Imam Ashafi’i pria au matin près de la tombe de Abou Hanifa et, par respect pour lui, n’ajouta aucune invocation (« doua qunut ») dans la prière, qui existe pourtant dans son Ecole, mais pas dans celle de Abou Hanifa. Et ceci par respect !

 «Le musulman lambda peut se passer de ces 4 Ecoles pour pratiquer la religion»

FAUX : car qu’on le veuille ou non, la manière dont nous avons appris à prier, à effectuer nos ablutions etc., ne nous est pas tombée du ciel. Elle nous est parvenue à travers ces Ecoles, même si on ne nous l’a pas précisé !

Vouloir se passer de ces 4 Ecoles, ça reviendrait en quelque sorte à créer une 5ème Ecole ! 

Se passer complétement des Ecoles est réservé aux savants appelés « Mujtahid Mutlaq » (c’est un grade exceptionnel et rarissime).

Pour le musulman lambda, le « Muqalid » (qui suit), prétendre se passer des Ecoles est soit mensonger pour certains, soit insensé voire dangereux :  

➡ MENSONGER : car certains de ceux qui affirment pouvoir se « passer des Ecoles » s’appuient souvent sur des livres dont le titre est par exemple « la prière selon le Coran et la Sunna», ou « Voici comment le Prophète (pbsl) priait ».

Or, ils doivent savoir qu’il s’agit en réalité de la description de la prière selon une École (le plus souvent il s’agit de l’Ecole Hanbalite) mais que ceci n’est pas précisé par négligence ou manque d’honnêteté intellectuelle… Ceux-ci suivent donc une Ecole sans même s’en rendre compte

 INSENSÉ : car pourquoi vouloir mettre de côté le travail titanesque d’extraction des règles réalisé par nos pieux prédécesseurs, qui nous ont « tout servi sur un plateau » ? 

Pourquoi vouloir se « compliquer la vie » quand tout est si simple ? Suivre une Ecole et des savants en général, c’est une facilité qui nous est accordée !

De plus, même les plus grands savants suivaient une École! : Ibn Al Qayim était Hanbalite, An Nawawi était Shafi’ite, As-Shatibi était Malikite et Abou Youssouf était Hanafite etc. Sommes-nous au-dessus d’eux pour prétendre pouvoir nous passer des Ecoles ?

Néanmoins, ce qui est « profitable » et qui peut être demandé, pour ceux qui en ont les capacités, c’est de suivre l’avis tout en comprenant l’argument énoncé, mais ceci n’est pas à la portée de tout le monde.

➡ DANGEREUX : car puiser directement dans la « matière brute » des textes, Coran et compilation de Hadiths, à travers son propre effort d’interprétation, peut mener à des compréhensions faussées et dangereuses de la religion.

On trouve parfois des personnes qui débutent dans la religion, et qui pensent « découvrir », en 2020, un hadith dans tel ou tel Sahih, que les musulmans appliqueraient mal ou pas du tout selon eux… Ces personnes s’octroient alors le rôle de « défenseurs de la Sunna » en faisant des reproches à telle Ecole ou à tel Imam !

Or, ils doivent savoir que ce qu’ils croient être un « secret » qu’ils viennent de découvrir est en réalité une question débattue des centaines de fois par les Savants dans le passé ! Et ce qu’ils considèrent comme la « vérité » n’est rien d’autre que leur propre compréhension du hadith, sans connaissance du contexte, ni de la bonne définition des termes, ni même de l’interprétation donnée par les gens de science…

Voilà donc le danger, et c’est d’ailleurs l’une des principales causes de l’apparition des sectes et autres groupes égarés. 

S’aventurer dans une interprétation personnelle, a fortiori lorsqu’on n’a pas ou peu de science, c’est prendre le risque de se tromper.  Or, un savant qui se trompe est quand même récompensé, mais ce n’est pas le cas pour un ignorant !

Certains ‘oulamas considèrent même cette « périlleuse aventure » comme « haram », interdite, pour le « mouqalid » (celui qui doit suivre une Ecole), et ce, même s’il parvient à la bonne solution…

 Les lois divines ne sont donc PAS un Jeu ! Tout comme on ne laisserait pas un ignorant effectuer une opération de chirurgie du cœur, laisser un ignorant manipuler les textes à sa guise peut s’avérer fatal…  

 «On ne peut PAS choisir son Ecole»

FAUX : car le principe est celui de la Liberté de Choix. On peut donc choisir son Ecole librement, mais « l’usage » et la pratique depuis des siècles a été, dans un souci de cohésion, de suivre l’École majoritaire du pays, de la ville ou de la mosquée où l’on prie.

En France, il n’y a certes pas « d’Ecole officielle », mais le « bon sens » serait de suivre son école d’origine : Ecole Malikite si on est d’origine maghrébine, Ecole Hanafite si on est d’origine turque etc.

Mais choisir une autre Ecole, une autre « voie » est tout à fait autorisé.

 «On ne peut PAS changer d’Ecole»

 FAUX : car là encore, le principe est la liberté de choix. On peut changer d’Ecole mais il est aussi recommandé de bien connaitre les différents avis de chaque École avant de faire son choix, et surtout, de ne pas proclamer qu’on « délaisse le FAUX pour aller vers le VRAI » !  

Enfin, en changeant d’Ecole, il ne faut PAS provoquer de dissensions dans la mosquée si l’Ecole qui y est suivie est différente, comme nous l’ont enseigné les Imams fondateurs à travers leur comportement.

 «On peut « piocher » à chaque fois dans une Ecole différente»

FAUX : il ne faut PAS naviguer à sa guise entre les Ecoles à chaque fois dans le but de chercher une facilité ou une « dérogation » pour satisfaire « ses passions ».

De plus, si chacun « pioche » à sa manière, les pratiques en commun comme la prière manqueront de cohésion (par exemple, faut-il faire ou pas le Qunut en groupe ?) et la pratique personnelle de chacun manquera de cohérence.

Il se peut même qu’en mélangeant deux Ecoles pour faire ses ablutions, au final, celles-ci ne soient pas valides ni dans l’une ni dans l’autre

«Suivre une Ecole, c’est tomber dans l’immobilisme»

FAUX : car les avis, dans une Ecole, peuvent parfois évoluer avec le temps et en fonction d’un contexte différent.

Par exemple, on remarque des évolutions de certains savants sur des questions précises, souvent pour des raisons d’intérêt général, comme le versement de la zakat al fitr en argent (et plus seulement en nourriture) ; le prêche du vendredi en langue étrangère (et plus seulement en langue arabe) etc.

Même si les « solutions au cas par cas » peuvent évoluer, les principes fondateurs de chaque Ecole restent toujours les mêmes.

 « Les savants d’une même Ecole partagent tous les mêmes avis »  

 FAUX : car il existe des divergences entre les Ecoles mais aussi des divergences dans l’Ecole !

En effet, il arrive parfois que les savants d’une même École divergent entre eux sur une question donnée, voire même avec l’imam fondateur de l’Ecole!

Par exemple, on rapporte que Abou youssouf, plus grand élève de Abou Hanifa, a divergé avec lui sur plus de la moitié de ses avis ! 

En utilisant la même méthodologie qui lui permet de « rester » dans le madhhab Hanafite, il obtenait pourtant une conclusion et un résultat différent, d’où la divergence !

 De même chez les Malikites, il y a plusieurs « Ecoles dans l’Ecole » : celle de Medine, de l’Andalousie, de l’Iraq etc. Ibn Al Qassim, élève de Malik, divergea avec lui sur de nombreuses questions et ainsi de suite.

Suivre une Ecole, ce n’est donc PAS forcément et systématiquement suivre les conclusions de son Imam fondateur, en faisant abstraction des avis des savants venus postérieurement.   

Par ailleurs, on peut être amené à distinguer l’avis majoritaire et « prépondérant » dans le madhhab, de l’avis « minoritaire« , ce qui illustre bien l’existence légitime de divergences intra-écoles.  

  « La divergence est une mauvaise chose »

 FAUX : car la religion musulmane est UNE dans ses fondements et ses bases, mais les divergences sur certains points secondaires de la religion sont nécessaires et ont toujours existé, même entre les compagnons du Prophète (pbsl), tant qu’elles s’accompagnent de respect mutuel et de tolérance.  

Lorsque le Calife Harun Ar rachid proposa à l’Imam Malik de fixer son œuvre, « Al muwattaa », sur les murs de la Kaaba afin que ce livre devienne la « seule et unique référence » que tous les musulmans du califat devraient suivre, l’Imam Malik refusa et répondit :

 « O Emir des croyants, les divergences des savants sont une MISERICORDE de la part de Dieu pour cette communauté. Chacun suit ce qu’il estime être fondé. Chacun désire Dieu. » 

Défilement vers le haut