L’Entretien de Mohammed MOUSSAOUI, président de l’UMF  sur « le port du voile » Propos recueillis, pour le Journal LEFIGARO.FR, par Jean- Marie Guénois le 31 octobre 2019.

Mohammed Moussaoui a été président du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) pendant plusieurs années. Il est également président de l’Union des Mosquées de France (UMF). Ce Docteur agrégé en mathématiques, enseignant chercheur à l’Université d’Avignon, est également formé en théologie et sciences islamiques. Il ne partage pas l’avis du CFCM publié le 29 octobre, notamment sur la question du port du voile

Dans un communiqué de l’Union des Mosquées de France du 30 octobre vous soutenez, contre le CFCM, que « le port du voile est une pratique religieuse qui ne fait pas partie des fondements de la foi musulmane ». Le voile ne serait donc qu’une « pratique » et non une « prescription religieuse ». Qui a tort ? Qui a raison ?

Je pense qu’il ne faut pas opposer « prescription religieuse » à « pratique religieuse ». Le port d’un couvre-chef est une pratique religieuse commune aux trois religions monothéistes avec des nuances quant à ses finalités et ses modalités. Cette pratique émane d’un précepte religieux (issu de textes et de traditions) synonyme de prescription. Mais une pratique religieuse, quelle qu’elle soit, peut avoir un caractère obligatoire ou être simplement recommandée. En l’occurrence, le vêtement prescrit aux femmes musulmanes est évoqué dans les textes comme un moyen de protection et de pudeur et non pas comme un symbole identitaire. Les termes arabes qu’utilise le coran sont « Khimar » et « Jilbab » (Coran 24 :30-31 et Coran 33 :59). Quant à la tradition orale du prophète Muhammad (PBSL), elle appelle les femmes à couvrir leur corps à l’exception des mains et du visage. Toutefois, cette tradition a trouvé divers déclinaisons à travers le temps et l’espace et selon les us et coutumes des différents peuples et contrées.  Quant au terme « voile », il serait associé au mot coranique « Hijab » et renvoie plutôt à ce qui séparait les épouses du prophète Muhammad (PBSL) des hommes qui venaient les consulter sur des questions personnelles. Enfin l’expression « port du voile » pour indiquer le couvre-chef – bien qu’il soit un abus de langage comme je viens de rappeler – est largement acceptée.

Mais vous estimez que la formulation, adoptée par le CFCM, serait « dangereuse » car elle laisserait entendre, écrivez-vous, que « ‘ne pas porter le voile’ conduirait les femmes à ‘sortir de la communauté des croyants’ ».  Serait-ce donc une mesure d’exclusion potentielle pour les femmes musulmanes qui ne porteraient pas le voile ?

La formulation du CFCM : « Le port du voile est une prescription religieuse, mais celles qui ont décidé de s’en affranchir ne sont pas moins musulmanes et restent dans la communauté des croyants. » est dangereuse parce qu’elle lie le fait de « ne pas porter le voile » au fait de « sortir de la communauté des croyants ». Certes, le communiqué du CFCM soutient que le premier point n’entraine pas le second mais établir un tel lien n’a pas lieu d’être. Et ce, d’autant que jamais aucun savant musulman ne l’a encore fait. Le port du voile est donc une pratique religieuse qui ne fait pas partie des fondements de la foi musulmane. Il faut rappeler que cette pratique ne figure pas dans ce qui est communément connu comme les cinq piliers de l’islam :  l’attestation de la foi, la prière, la zakat (l’aumône légale), le jeûne et le pèlerinage pour ceux qui en ont les moyens.

 Est-ce que cette motion irait jusqu’à dire que les femmes ne portant pas le voile seraient tout juste tolérées sous entendant que la voie normale pour une femme musulmane serait de toujours porter le voile ?

La motion dit que celles qui ne portent pas le voile ne sont pas moins musulmanes. Mais je demande : que signifie être « moins » musulmane ?! Cette formulation laisse entendre qu’il est possible de juger le niveau d’islamité ou de religiosité d’une personne. C’est cette approche radicale qu’il faut combattre fermement. Le CFCM voulait probablement le sous-entendre mais sa formulation était clairement malheureuse. Il faut rappeler sans cesse que la pratique religieuse, quelle qu’elle soit, diffère d’un individu à l’autre et personne n’a le pouvoir, ni le droit de juger de la pratique des uns et des autres, ou de la stigmatiser. 

Voyez-vous là une dérive du Conseil Français du Culte Musulman atteignant la liberté fondamentale des femmes musulmanes ?

Contrairement à ce que laisserait entendre le communiqué du CFCM, je tiens à préciser qu’aucun membre de l’Union des Mosquées de France (UMF) que je préside n’a été invité à la réunion du mardi 29 octobre 2019 qui a rédigé ces dix propositions issues du « conseil religieux » du CFCM.  Je ne suis donc pas en mesure d’évaluer ce qui s’y est réellement passé.  Je dois également rappeler qu’après l’annonce de la création du « conseil religieux » en 2016, l’UMF avait demandé la mise en place d’un groupe de réflexion pour définir les profils des membres de ce conseil, sa composition, sa mission et son mode de fonctionnement. Malheureusement, notre demande n’a pas été entendue. Chacun peut constater qu’à ce jour la composition de ce « Conseil religieux » est inconnue et qu’aucun avis n’est à mettre à son actif.  Globalement, le religieux doit rappeler les textes avec leur lecture authentique et contextualisée, accompagner les personnes qui le désirent dans leur cheminement spirituel, respecter leur liberté, reconnaître leur capacité à assumer leur responsabilité face à leurs devoirs et s’abstenir de les juger ou de les cataloguer.

Mais pourquoi le CFCM qui a toujours été très prudent sur la question du voile, durcit subitement son discours sur ce point ?

La réunion du CFCM est intervenue à un moment tendu, marqué par nombre de déclarations de responsables politiques sur la question du voile. La première phrase du communiqué du CFCM fait d’ailleurs état de ce contexte en évoquant « l’hystérie islamophobe agressive, voire criminelle ». N’oublions pas, non plus, que la veille de cette réunion, la mosquée de Bayonne a été victime d’une attaque avec un engin incendiaire et des tirs d’armes à feu faisant deux blessés graves âgés de 74 et 78 ans. Le CFCM a sans doute voulu exprimer une colère face à ce climat délétère et anxiogène. Même si elle n’est pas sans raison, la colère est rarement bonne conseillère.

Mais pourquoi cet organisme à qui le président de la République a demandé lundi 28 octobre de lutter contre la radicalisation, présente, mardi 29 octobre, des propositions dont l’une, sur le voile, semble effectivement ouvrir la voie de la radicalisation ? Est-ce une provocation ?

Je n’irai pas jusqu’à dire que son avis sur le voile ouvre la voie à la radicalisation, ni qu’il ait voulu provoquer. Mais, en voulant rappeler le statut du port du voile, le CFCM, par sa formulation, n’a pas su repousser l’attitude radicale consistant à juger celles qui ne le portent pas.

 

Pourquoi, depuis l’affaire de Creil, certaines mouvances de l’islam de France ont toujours poussé la question du voile comme un symbole islamique quasi politique ? Est-ce pour affirmer à la longue, la présence visible de l’islam contre la neutralité de la laïcité ?

Des expressions identitaires et politiques s’appuyant sur des pratiques religieuses comme « le port du voile » peuvent se servir de l’espace public pour s’affirmer. Ces expressions qui sont nuisibles d’abord à l’islam et aux musulmans ne sont pas de nature à rassurer nos concitoyens et à favoriser l’entente et la concorde dans notre pays. Elles peuvent également servir de prétexte à une expression, tout aussi extrême, pour interdire toute forme de visibilité de l’islam dans l’espace public. Evidemment, le principe de neutralité de la laïcité ne prône pas ce type d’interdiction. Il nous faut donc combattre fermement ces deux formes d’extrémisme qui se nourrissent mutuellement et empoisonnent notre vie collective.

 

Que pensez-vous du vote du Sénat visant à interdire le port du voile lors des accompagnements scolaires ?

J’entends les arguments de ceux qui ont proposé et voté cette loi. Ils considèrent les accompagnatrices comme agents investis d’une mission de service public en contact avec des enfants et veulent prémunir ces derniers du prosélytisme religieux. Le conseil d’état, dans ses avis confirmés à plusieurs reprises, considère que « le port du foulard ne constitue pas, par lui-même, en l’absence de toute autre circonstance, un acte de pression ou de prosélytisme ». Juridiquement, ces mamans accompagnatrices ne peuvent pas être assimilées à des agents de la fonction publique. De ce fait, elles ne sont pas soumises à l’obligation de neutralité.

Cette loi, votée en première lecture au sénat par 163 contre 114 voix, n’a aucune chance d’aboutir tant le gouvernement et les députés de la majorité s’y opposent fermement. Le ministre de l’Education nationale considère que cette loi non nécessaire serait « contre-productive parce qu’elle enverrait un message brouillé aux familles ». Elle se heurte également au principe de laïcité.

Mais quelle serait la juste voie, selon vous, pour régler cette question du voile dans l’espace public français ?

Aux arguments du député Chabert qui proposait une loi interdisant le port de la soutane dans l’espace public, Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905, avait répondu:
« Au risque d’étonner l’honorable M. Chabert, je lui dirai que le silence du projet de loi (de 1905) au sujet du costume ecclésiastique qui paraît le préoccuper si fort, n’a pas été le résultat d’une omission mais bien celui d’une délibération mûrement réfléchie. Il a paru à la commission que ce serait encourir, pour un résultat plus que problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, imposer aux ministres des cultes de modifier la coupe de leurs vêtements ».

Vouloir enfermer toute expression de la liberté religieuse dans la stricte sphère intime serait donc contraire à la loi de 1905 et renforcerait le sentiment d’exclusion et doperait les rangs des radicaux. L’arsenal juridique pour lutter contre le prosélytisme est très complet. Il faut juste l’appliquer et faire confiance aux valeurs qui animent l’immense majorité de nos concitoyens.  Nous devons assurer à chacun sa liberté de croire ou de ne pas croire et de pratiquer le culte de son choix. Les femmes qui ne portent pas le voile sont libres de leurs choix. Celles qui souhaitent le porter doivent pouvoir le faire en toute liberté sans limites autres que celles prévues par la loi de la République et les impératifs de l’ordre public.

Propos recueillis par Jean-Marie Guénois

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